Fort de ses sept Césars pour « Séraphine », biopic sur la peintre autodidacte Séraphine de Senlis, Martin Provost réitère dans le genre et s’intéresse une fois de plus à un personnage féminin autodidacte : l’écrivain Violette Leduc. Le film sort en salles à New York le 13 juin.
« Si vous ne m’aimez pas c’est parce que je suis laide? » demande une Violette Leduc désemparée à une Simone de Beauvoir impassible. C’est par cette laideur subie que Martin Provost ouvre son film « Violette » : on y voit la future grande écrivaine affublée d’un chapeau ridicule expliquant que si les belles filles sont dévisagées dans la rue, c’est pour leur beauté, et si les filles laides le sont aussi, c’est pour cette laideur.
Avec ce genre de réflexion, l’écrivain maudit ouvre la fenêtre sur son mal-être, l’estime médiocre qu’elle a d’elle même, elle qui a toujours cru qu’elle n’accomplirait rien dans sa vie. Elle se jette sur tous ceux qui ne veulent pas d’elle (les écrivains Simone De Beauvoir et Maurice Sachs, le parfumeur Jacques Guérin et Hermine, une femme mariée).
Violette Leduc se sent mal, et seule. Pourtant, elle a du talent, un talent tout de suite remarqué par celle qui deviendra son mentor, Simone de Beauvoir, elle-même au seuil de la gloire. C’est à elle que Violette Leduc donne le premier roman qu’elle écrit L’Asphyxie, qui parle de son enfance et de sa relation à sa mère. Un roman dans lequel elle a mis « toute sa vie ». Cette mère ne cessera de peser sur sa vie. En témoigne leur relation faite de hauts et de bas et la désormais célèbre « Ma mère ne m’a jamais donné la main », première phrase de L’Asphyxie.
Et puis elle grandira dans l’ombre des succès de Simone de Beauvoir et essuiera deux échecs avec L’Asphyxie et Ravages, qui passent inaperçus aux yeux du public et de la critique mais lui font gagner l’estime de ses paires, Camus et Sartre en tête. Elle ne connaîtra la gloire qu’à 57 ans avec La Bâtarde, thème qui la hantera toute sa vie étant elle-même un enfant illégitime.
Le ton est cru – souvent dira-t-on d’elle qu’elle parlait comme un homme – sans craindre la censure. Car Violette Leduc raconte ce que nulle autre femme n’avait osé. Elle décrit avec franchise mais poésie ses moments les plus intimes. Poussée par son mentor, elle parle aussi de sujets qui à l’époque étaient considérés comme tabou: l’amour saphique, son avortement, pour « rendre service aux femmes », dira le personnage de Simone de Beauvoir.
Si le film de Martin Provost a le mérite de braquer le projecteur sur une femme peu connue, il n’en reste pas moins que la matière du film, le personnage de Leduc, est plus passionnante que le film lui-même. Emmanuelle Devos, blonde et enlaidie pour les besoin du film, est convaincante en féministe forte et fragile, influençable mais inflexible.
Quant à Sandrine Kiberlain, elle incarne Simone de Beauvoir avec force et conviction, même si son personnage, assez solitaire, se cantonne à jouer la protectrice de Leduc. On croise aussi Jean Genet, Raymond Galimard, la présence de Jean Paul Sartre est toujours palpable, même si on ne le verra jamais, tout comme Albert Camus, ajoutant au film une dimension historique parfois pesante.
Sans être le biopic de l’année, « Violette » met en lumière une femme résolument en avance sur son temps, talentueuse et incomprise. De la salle de cinéma, on ressort avec nous aussi l’envie de coucher des mots sur le papier.