Rousseau l'Américain

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«Si Jean-Jacques Rousseau est toujours aussi célèbre aujourd’hui, c’est certainement parce que sa pensée est complexe et très controversée». Benjamin Barber est Américain mais expert ès Rousseau. Ce politologue et auteur co-organise « ThinkSwiss : Genève Meets New York » à Manhattan, un festival consacré aux idées qui ont germé dans la ville suisse. L’édition de cette année abordera les idées du penseur, à l’occasion du tricentenaire de la naissance du philosophe phare des Lumières. Car on a tendance à l’oublier : Jean-Jacques Rousseau n’était pas Français, mais Suisse. « Rousseau est francophone certes, mais Suisse avant tout », rappelle Benjamin Barber.

Aborder la pensée de Rousseau sur le sol américain peut surprendre. Aux Etats-Unis, il passe pour un « socialiste forcené », voire une « spécificité typiquement française », selon M. Barber. Et si la pensée de Rousseau est un pan inaliénable du programme de philosophie en France, on imagine plutôt les Américains étudier Alexis de Tocqueville.

Pourtant, aux Etats-Unis, en France, en Suisse ou ailleurs, «Rousseau fait partie du club très fermé des philosophes les plus étudiés avec Machiavel, Hobbes ou Aristote», d’après Benjamin Barber. La pensée de Rousseau a tout de même pris du temps à se développer aux Etats-Unis. Les idées du philosophe genevois n’ont pas inspiré la Constitution américaine, les rédacteurs ayant préféré à sa doctrine les théories libérales de John Locke. Rousseau s’est révélé à la moitié du XIXème siècle seulement, quand son roman Julie, ou la nouvelle Héloïse a connu un regain de popularité auprès des Romantiques en Europe et a été par la suite un best-seller aux Etats-Unis. Rousseau a d’abord été « un auteur à succès » avant de « remuer les mentalités ».

Ironie du sort, c’est avec un autre roman, Emile ou De l’éducation, que les Américains ont commencé à s’intéresser à sa pensée philosophique. Dans ce livre, Rousseau décrit l’éducation idéale d’un jeune garçon fictif, Emile, de sa naissance jusqu’à l’âge adulte. Une éducation basée sur l’action plutôt que l’écoute, où « l’élève apprend de manière empirique plutôt qu’en récitant une leçon par cœur». Le philosophe américain, John Dewey, spécialisé en pédagogie, s’est inspiré de Rousseau pour rédiger certains traités de psychologie. Et dans certaines écoles maternelles, la lecture de l’ouvrage a longtemps été obligatoire pour les instituteurs. « Cet ouvrage a considérablement changé les mœurs de la société américaine » et a placé le penseur « au même pied d’égalité que Locke ou Hobbes », estime M. Barber.

Rousseau, papa d’Occupy Wall Street

On oublie souvent que Rousseau a été l’un des premiers à « pointer du doigt les défauts du capitalisme », et à « critiquer la notion de propriété privée ». Arguant que la « première source du mal est l’inégalité entre les Hommes » ou que « les Hommes se perdront si ils oublient que les fruits de la terre sont à tout le monde mais la Terre à personne », Rousseau dénonçait, bien avant Karl Marx ou Pierre-Joseph Proudhon, les faiblesses du modèle économique à une époque où les théories libérales étaient en vogue.

Qualifiée de « communiste » voire même de « totalitaire », la philosophie de Rousseau a été oubliée durant la Guerre Froide. Avec la crise économique de 2008, elle refait surface au sein de la société américaine, en particulier auprès de la jeunesse. Une situation peu étonnante pour Benjamin Barber qui assure «qu’à partir du moment où il y a critique du capitalisme, on retrouve nécessairement la pensée de Rousseau ». Si ce dernier avait vécu à notre époque, il aurait certainement occupé Zuccotti Park.

Infos pratiques :

« ThinkSwiss : When Geneva meets New York », autour du tricentennaire de la naissance de Rousseau, du 6 au 12 mars. Programme complet ici 

  1. Comme c’est surprenant, Rousseau , “citoyen de Genève”, vivait à une époque où Genève n’était pas en Suisse, n’y étant entrée qu’en 1815 par le Traîté de Vienne. Et si Rousseau est au Panthéon à Paris c’est grâce à la Révolution Française , les Genevois n’en voulant pas et qu’il avait lui-même démissionné de sa citoyenneté genevoise. Rendons donc à Céasr ce qui est à César, n’en déplaie à tous ceux qui, aujourd’hui, essaient de récupérer Jean-Jacques…

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