Avant que ce businessman écolo ouvre la bouche, on s’attendait au refrain bâti à coup de pubs sur l’urgence de sauver la planète. Au contraire, loin d’être langue de bois, le ton est passionné. Et le parcours de Pierre-André Senizergues explique le cap pris par Sole Technology. A en croire ce quarantenaire arrivé en Californie comme “sans abri”, cette entreprise ne s’y prend pas comme les autres. Elle se veut avant tout « sociale ». M. Senizergues, qui a vécu de bric et de broc pendant quelques mois a Venice Beach, après avoir quitté l’Hexagone pour assouvir sa passion, le skateboard, vante ses opérations tous azimuts : donner des chaussures à des SDF de Los Angeles, offrir des emplois aux jeunes skateurs, construire des skate-parcs publics pour inciter les ados à être actifs…
L’environnement, cause numéro un du groupe et celle qui en fait sa réputation, est en fait venu plus tard. «Trois surfeurs sponsorisés par la société ont lance l’idée», se souvient-il. Au bord du Pacifique, les surfeurs sont parmi les plus écolos. «Ils évoluent dans un milieu naturel victime des marées noires et d’autres pollutions majeures, tandis que les skateurs vivent en milieu urbain, le béton. C’est donc logique que la fibre verte soit venue des premiers». En l’an 2000, Senizergues amorce le tournant via la reconstruction des bâtiments, plus économes en énergie (le toit est couvert de panneaux solaires). Par ailleurs, les vans qui servent à transporter les athlètes fonctionnent aux biocarburants. En peu de temps, cette entreprise tenue par un Français est érigée en modèle parfait, avant même le tsunami du greenwashing.
A tel point que Leonardo DiCaprio fait appel à Sole Technology pour financer son documentaire, La 11e heure, sorti en 2007. «Un jour, il m’a appelé au téléphone, je l’ai questionné pendant une heure car je voulais être sur que ce n’était pas juste une star qui voulait mettre du vert sur son nom». «Je n’aime pas trop le greenwashing», poursuit-il un peu naïvement. L’entreprise a cependant rédigé un communiqué pour annoncer sa dernière performance : une baisse de 14% de ses émissions de gaz a effet de serre. C’est désormais le principal objectif de ce petit empire de la basket, affirme Senizergues : annuler son empreinte carbone.
Utopique ? Pour celui qui, de la rue, est devenu un riche patron sous les palmiers californiens, pas vraiment. «Il faut avoir des rêves, on ne sait pas trop comment on va y arriver, mais le chemin parcouru est significatif. D’ici dix ans, imaginez le progrès fait en matière de nouvelles technologies disponibles!».
Pour parvenir a ce but lointain, Senizergues note qu’il faut embarquer tous les services et toutes les activités de l’entreprise dans l’aventure. «Certains se contentent d’avoir un département Environnement qui fait des choses tout seul dans son coin». Même le triage des poubelles est un « emploi vert » chez Sole technology, assuré par un jeune skateur motivé. L’entreprise a aussi tenu à identifier les sources de pollution. Cette étude, faite en interne, aurait montre que 57% de la pollution vient des usines de production en Asie. D’où l’importance d’influencer, aussi, les fournisseurs. Evidemment, un contrôle total est impossible. «Mais on a des moyens de pression, nos fabricants chinois savent que s’ils ne font pas des efforts, ils peuvent perdre un contrat important». Pourquoi alors travailler avec des usines chinoises, loin d’être exemplaires sur le plan social comme environnemental, et ne pas adopter une stratégie de fabrique sur place, comme le fait la chaine American Apparel par exemple ? «On est toujours dans les usines, on voit ce qui se passe. Des scandales comme ce qui est arrivé à Nike, ce n’est plus possible maintenant, c’est trop risqué», rétorque le Californien d’adoption. Pour ce qui concerne l’effort côté pollution, Sole Technology a demandé aux usines leurs factures de consommation d’énergie. Senizergues ne nie pas les risques de non-coopération, mais ne renonce pas. Il a déjà lâché ses fournisseurs qui tournaient au charbon pour d’autres qui utilisent de l’énergie hydraulique.
En somme, il a fait de la protection de l’environnement un «lifestyle» pour l’entreprise, tout comme l’est la culture skate. Et la clé de ce style de vie, c’est de n’accepter aucune mainmise de financiers, explique Senizergues. Résister a l’entrée en Bourse «malgré les offres». «Je ne veux pas ouvrir le capital et avoir des obligations de rendements de court-terme de 20%», dit-il. Ex-champion de skate, celui qui n’a jamais fait de grande école, n’a jamais étudié le commerce, s’inspire sans doute davantage de l’esprit de son sport, qui n’a ni règles ni terrain délimité.
Quand le skate roule pour l’environnement
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