Le rêve de Lucien

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Il a poussé la porte et derrière l’invraisemblable bric-à-brac il a su qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait : un lieu, une âme, un projet. Lucien Zayan allait transfomer cette ancienne usine de Cobble Hill, à Brooklyn, en centre culturel, sur trois étages. Il fallait de l’imagination et une solide envie d’entreprendre pour voir dans ce bâtiment abandonné depuis plusieurs années un lieu de culture avant-gardiste. Mais Lucien était venu aux Etats-Unis pour ça, bien décidé, à 43 ans, à vivre son rêve américain.
Après une riche carrière à gérer des théâtres et des festivals (Théâtre de la Madeleine, Festival d’Aix, Festival de Marseille, etc), il a décidé de tout plaquer et de venir tenter sa chance à New York, où il n’était passé que deux fois en vacances. Il débarque en octobre dernier, sans sou et guère de contacts mais un talent certain pour les rencontres. Parmi elles, il y a une autre passionnée d’art qui a tout plaqué, Muriel Guépin, analyste financière qui ouvre, en décembre 2008, une galerie d’art « abordable » (http://frenchmorning.com/ny/spip.php?article1396) à Brooklyn. Elle s’est installée dans un local d’une usine désaffectée. C’est au fond de la galerie que Lucien Zayan pousse la porte et trouve «ce bâtiment extraordinaire, tout en bois et brique, ces volumes magnifiques, qui n’attendaient que nous».
Il ne tarde pas à découvrir que cette usine abandonnée a une histoire. Le bâtiment date de 1890, les débuts de l’expansion de Brooklyn, juste après la construction du Brooklyn Bridge. Mais surtout, il apprend que de ces ateliers, où l’on fabriquait ceintures et bijoux, sont sortis un gadget que tous les Américains de plus de 30 ans connaissent : The Invisible Dog, le chien invisible. Une laisse semi-rigide et un harnais qui permettent de promener son « chien invisible ». À la fois jouet et accessoire de mode (on sortait en boîte avec dans les années 1970…), l’objet a tout du fétiche. Lucien tient son emblème, et le nom de son futur centre culturel.

La crise va servir le projet. Les propriétaires de l’immeuble, racheté en 2007 aux héritiers du fondateur de l’Invisible Dog, doivent renoncer à leurs idées de « condos » et de tour de 14 étages. Ils sont séduits par la “vision” de Lucien et acceptent de lui louer le bâtiment, et de financer les travaux de rénovation nécessaires.
Reparti quelques mois en France pour cause de visa, Lucien est revenu à New York en mars, business plan en main. Car c’est bien d’un business qu’il s’agit. Après une carrière dans la culture subventionnée, il devient un « entrepreneur culturel », à l’américaine. Et découvre un milieu culturel new-yorkais « prêt à découvrir de nouvelles choses, à s’enthousiasmer ».
Le deuxième étage de l’usine va être transformé en studios, loués à des artistes -à prix d’amis ($ 1,5 le square foot). Presque toute la surface disponible est déjà pré-réservée. Le 3ème étage sera loué pour accueillir des séances photos, des réceptions, des manifestations culturelles, etc… Pour le toit-terrasse, Lucien pense à un jardin communautaire, ou encore à des séances de cinéma en plein air. Le rez-de-chaussée sera le centre nerveux de l’ensemble, avec une salle de spectacle et d’exposition.
Pour l’heure, il faut encore beaucoup d’imagination et l’enthousiasme pour visualiser la fabrique de l’Invisible Dog comme le futur lieu culturel qui compte, au coeur d’un des quartiers les plus en vogue de Brooklyn. Mais à raison de 18 heures par jour entre ces murs, les lieux ont déjà changé. Les fenêtres ont été démurées. Bientôt, le jardin va être débroussaillé et accueillir –c’est une question de semaines- le café de plein air que projette Lucien. Et pour se débarrasser du bric-à-brac, notamment des kilomètres de ceintures, il a ouvert un marché aux puces sur place, où chaque week-end les voisins viennent faire leurs provisions des trésors abandonnés à la fermeture de l’usine (avec Muriel Guépin, ils ont aussi commencé à créer et à vendre des tables fabriquées avec les matériaux récupérés sur place). «Le marché aux puces a permis de faire vivre tout de suite l’endroit, faire découvrir le bâtiment aux gens du quartier», raconte Lucien.
Dans le quartier, jeune et branché mais pas particulièrement réputé pour son activité culturelle, le projet de Lucien fait causer. L’ancien directeur de théâtre a appris à découvrir l’enthousiasme américain pour le bénévolat. “J’ai vu arriver des gens du quartier qui me disaient qu’ils voulaient venir aider à nettoyer, à rénover. Au début j’ai dit non, je ne voulais pas faire travailler les gens sans les payer, et puis je me suis rendu compte qu’il fallait accepter: c’est le signe de l’intégration dans la communauté”.
Il ne s’est pas vraiment fait prier. Lucien n’est pas du genre à manquer une opportunité de rencontre. Un jour, c’est un duo de designers qui s’enthousiasme pour l’endroit, et promet de réaliser un lustre pour la salle de spectacle, tout en laisses Invisible dog. Un autre, c’est un magicien qui pousse la porte pour acheter dans le marché aux puces une boîte pour ranger ses cartes. Hop! Embauché pour l’inauguration. C’est le 6 juin, avec une exposition, un concert, pour montrer que, trois mois après les premiers dépoussiérages, l’Invisible Dog est bien vivant, et le rêve de Lucien avec.
The Invisible Dog et Shop Art Gallery: 51 Bergen Street (Métro Bergen Street, ligne F ou Borough Hall, ligne 4,5).
Flea Market: Samedi de 10am à 7pm et dimanche de 10am et 6pm.
The Invisible Dog (site en construction)

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Emmanuel Saint-Martin
Emmanuel Saint-Martin
Journaliste depuis près de 30 ans, Emmanuel Saint-Martin vit aux Etats-Unis depuis 17 ans. Correspondant de France 24, il a créé French Morning en 2007.
  1. je trouve Lucien tres epatant, j’ai beaucoup d’admiration pour lui. Il a un reve, il y croit, il ose et est en train de le realiser. C’est la ce que permet l’Amerique : croire a ses reves! Il ouvre la porte a ceux qui ont envie de partager son reve.Les reves se lient les uns aux autres et cela va faire une Oeuvre. Bravo Lucien et merci pour cet exemple de vie.Il n’y a pas de vrai vie sans cette dimension de croyance et de reve.

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