“Une femme avec une passion et une ambition énormes.” Alan Govenar n’a jamais connu Anne Morgan, mais il veut la faire connaitre. L’écrivain et documentariste de Dallas, fondateur de Documentary Arts, vient de sortir un livre, Anne Morgan Photography, Philanthropy & Advocacy, sur cette New-Yorkaise hors norme que seuls les férus d’histoire connaissent.
A travers cet ouvrage, écrit en français et en anglais, il entend notamment mettre en lumière son rôle essentiel dans la reconstruction de la France en lambeaux après la Première Guerre mondiale. Anne Morgan est à l’origine de CARD (Comité américain pour les régions dévastées), un réseau de femmes américaines francophiles qui s’est mobilisé pour venir en aide à la population ravagée par quatre ans de conflit. Les volontaires de CARD ont donné des cours, distribué de la nourriture, soigné les malades et les blessés… Un destin improbable pour Anne Morgan, née dans une famille fortunée, dominée par la figure de son père, un certain John Pierpont Morgan, ou “JP” Morgan. “Elle a vécu dans l’ombre de son père. Elle servait d’accompagnatrice pour sa maitresse, qui avait l’âge d’Anne. Puis, progressivement, elle s’est affirmée, découverte.”
La jeune femme au caractère bien trempé avait déjà annoncé la couleur. Enfant, elle avait déclaré lors d’un diner organisé par ses parents qu’elle souhaitait travailler et ne pas devenir “un riche imbécile” , causant une certaine gêne parmi les convives. A l’aube du XXème siècle, elle rejoint un nombre grandissant de femmes qui s’impliquent dans des causes diverses (droit de vote, lutte contre l’alcoolisme…). Elle milite dans le cadre de différents mouvements pour améliorer les conditions des femmes au travail, participe à la création d’un Fonds d’épargne-vacances pour permettre aux ouvrières de partir en vacances. Féministe, elle fonde le premier club pour femmes de New York, le Colony Club, qui existe toujours.
Mais c’est bien la France qui reste le grand combat de sa vie. Co-propriétaire avec deux amies américaines d’une villa près de Versailles, elle était en France lorsque la guerre entre l’Allemagne et la France a été déclarée. “Elle s’est retrouvée bloquée en France sans accès à sa richesse. Elle a entendu parler de la devastation de la Bataille de la Marne. Quand elle est retournée aux Etats-Unis, elle s’est dédiée à la France. Elle adorait ce pays, sa culture” , explique Alan Govenar.
Pendant et après la guerre, Anne Morgan et d’autres utilisent leur carnet d’adresses et leur fortune pour organiser des collectes de fonds, faciliter l’acheminent d’équipement et d’ambulances vers le front. En mars 1918, elle lance CARD, dont le quartier général se trouve au sein du Château de Blérancourt (Picardie), qui abrite aujourd’hui le musée franco-américain. Le groupe est infatigable: il recrute des infirmières et des professeurs d’éducation physique, plante des arbres, ouvre des bibliothèques publiques gratuites. Ces efforts valent à Anne Morgan d’être décorée par le Maréchal Pétain en 1924 de la Légion d’honneur, faisant d’elle la première Américaine à recevoir cette distinction.
Anne Morgan revient en France après la Deuxième Guerre mondiale pour aider à la reconstruction, mais meurt en 1952 à Mount Kisco, près de New York, laissant derrière elle une oeuvre méconnue jusqu’à ce jour. “C’était une femme extraordinaire . Elle faisait partie d’une génération de femmes militantes, mais dont l’engagement est peu connu” , constate Alan Govenar. Le livre que lui et sa co-auteure, l’enseignante de UCLA Mary Niles Maack, lui consacrent est abondamment illustré de photos tirées des archives de la Morgan Library, l’agence Corbis et d’autres sources. “Ce qui est le plus saisissant chez elle, poursuit l’auteur, c’est sa persévérance pour aider les gens autour d’elle, en France comme aux Etats-Unis, et pour améliorer le monde dans lequel elle vivait.”
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