A New York, la “génération Descoings” se recueille

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Ils sont une centaine à vue d’oeil, rassemblés au 15ème étage de l’International Affairs Building (IAB) de Columbia, pour un hommage à Richard Descoings. La minute de silence est passée. Francis Verillaud, directeur adjoint de Sciences Po en charge des affaires internationales et des échanges, demande au groupe d’étudiants et d’anciens étudiants qui l’entoure si quelqu’un souhaite prendre la parole. Les secondes passent. Le bruit du système d’aération et des ascenseurs voisins emplit la grande salle dépouillée. Soudain, une jeune femme se lance : « Je serai toujours reconnaissante à Richard Descoings d’avoir ouvert Sciences Po aux banlieues», dit-elle. Une autre poursuit: «Je veux le remercier d’avoir ouvert Sciences Po au monde». Les prises de parole se multiplient.

Stagiaires, étudiants en échange ou en double diplôme, ou encore jeunes diplomés: sans l’internationalisation des cursus voulue par Richard Descoings depuis son arrivée au 27, rue Saint-Guillaume en 1996, ils ne seraient sans doute pas à New York aujourd’hui. Cette «génération Descoings», qui croisait le directeur dans les couloirs de l’institut, échangeait des message Facebook avec lui ou l’apercevait à des événements, se devait de lui rendre hommage. «Il serait très fier de vous voir ici», leur a dit Alessia Lefebure, directrice du programme Alliance, qui a organisé la commémoration en écho à celle qui a eu lieu, mardi matin, dans le jardin de l’université.

«Après la grosse mobilisation de la rue Saint-Guillaume, certains étudiants ici se sentaient privés de deuil, confie-t-elle. Il y a une grande fierté d’appartenir à Sciences Po aujourd’hui».

En seize ans, Richard Descoings a ouvert le vénérable Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Paris au monde. Les étudiants lui doivent notamment la «troisième année à l’étranger» comme ils l’appellent, soit un séjour d’étude ou de formation dans une  université ou une entreprise à l’international. Selon la direction des affaires internationales et des échanges (DAIE) de l’IEP, près de 1 200 élèves du collège universitaire de Sciences Po sont en mobilité internationale, dont plus de 1 000 en séjour d’étude, dans  350 universités partenaires.

«Il était accessible. Quand on le croisait dans les couloirs, on avait l’impression qu’on pouvait l’aborder», raconte Hannah Olivennes, qui effectue un double diplôme en journalisme à l’université Columbia. Jean-Claude Kpakpo est lui venu à New York avec un groupe de 24 étudiants pour participer à une simulation de débats aux Nations unies : «C’était mon directeur… On était tous sous le choc quand on a appris la nouvelle. Abasourdis». Friant de Facebook, « Richie » comme il était surnommé, postait souvent des poèmes, des citations, des remarques et des photos sur sa page, dont plusieurs de son bonzaï devenu célèbre auprès des « Sciences Potards ». Avant la désactivation de sa page, mardi, un marsupilami lui servait de photo d’identité. «Il était iconoclaste, note Isis, étudiante en troisième année à Columbia. Qu’on l’aime ou pas, on ne peut pas rester indiffèrent. »

« L’élan qu’il a donné à l’école était très positif, estime pour sa part Pierre Lespagnol, actuellement en stage au FIAF. Il n’était pas sans défauts, mais on ne peut que souligner son parcours. »

« Rien ne montrait qu’il était malade »

Suicide ? Accident ? Au-delà de l’hommage, beaucoup de ceux interrogés mercredi soir à Columbia se demandent ce qui s’est passé, mardi, dans la chambre 723 du Michelangelo Hotel. «Rien ne montrait qu’il était malade», assure Mamadou Diouf, directeur du département de African Studies à Columbia. Il dit avoir dîné lundi soir avec Richard Descoings et une trentaine d’autres personnes dans le cadre de la conférence des présidents d’universités à laquelle le patron de Sciences Po était venu assister. « Rien ne pouvait laisser imaginer ce qui allait se passer».

Mercredi, l’autopsie a été jugée « non concluante » par le médecin légiste de New York. Les résultats de l’analyse toxicologique pratiquée sur le corps devraient tomber dans les jours voire les semaines qui viennent. Pour sa part, le NYPD est à la recherche de deux individus qui seraient entrés dans la chambre de M. Descoings lundi soir. Ces personnes ne sont pas considérées comme suspectes par la police.

Dans l’immédiat, le Student counseling center de Columbia s’est mis à la disposition des étudiants qui souhaiteraient parler de l’épisode avec un psychologue. Une procédure habituelle, selon Alessia Lefebure, d’Alliance, qui pense qu’aucun étudiant ne l’a utilisée jusqu’à présent.

(Milena Beurer-Doenst et Alexis Buisson)

 Photo: Un livre d’or a été mis à disposition des étudiants (crédit: MBD)

Alexis Buisson
Alexis Buisson
Originaire de Saint Germain-en-Laye (Yvelines), Alexis s'est installé à New York en 2007, après avoir passé un an à Boston en échange universitaire. Il écrit pour plusieurs médias français et francophones (La Croix, Mediapart, Le Point, Télérama, La Tribune de Genève...) en plus de French Morning, dont il fut le rédacteur-en-chef de 2011 à 2019. Il est aussi l'auteur d'un guide sur la vie à New York, "S'installer à New York" (Éd. Héliopoles), et d'une biographie de la vice-présidente américaine, Kamala Harris, à paraître en 2022.

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