Vie d’Expat : Depuis que je vis loin, ma sœur a repris le rôle qui m’appartenait

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Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres et de revues sur l’épanouissement personnel. Illustration Clémentine Latron.

Cette semaine, découvrons l’histoire de Fabrice dont l’éloignement a ravivé les rivalités entre frère et sœur.

« Avant, Noël, c’était moi. Les heures en cuisine, la décoration de la table, le choix des vins, encore moi. C’était une logistique parfois lourde, mais ça me plaisait. J’aimais rassembler. J’étais celui par qui Noël arrivait. 

Depuis que je vis aux États-Unis, ce rôle a glissé entre les mains de ma sœur. Elle a repris le flambeau et s’en sort très bien. Une grande partie de la famille se retrouve chez elle, mes filles incluses, et je n’en fais plus partie. Je devrais être content qu’elle prenne soin de tout le monde, mais au fond, ça me vexe. Ce rôle de fédérateur, ce pivot familial, c’était moi. Et maintenant, c’est elle qui l’incarne. Je regarde tout ça à distance.

Mes filles seront là-bas, elles aussi. Sarah m’a expliqué qu’elle ne pouvait pas venir ici à cause de son travail, qu’elle manquait de congés. Avec cinq semaines par an ? Julie, elle, m’a simplement dit qu’elle n’aimait pas Noël ici. « Hystérique et commercial ». Ce sont ses mots. Résultat, elles iront chez ma sœur. J’aimerais croire que c’est une question pratique. Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander si elles préfèrent être là-bas, avec eux, plutôt qu’ici, avec moi.

Et puis, il y a mes parents. Ils vieillissent, surtout mon père, et chaque Noël que je manque est une occasion de moins d’être là pour eux. J’essaie de me convaincre que je fais ce que je peux, mais est-ce que c’est vrai ? Une année, c’était le travail. L’autre, le visa. L’autre encore, le Covid. Mais alors comment font les autres qui rentrent à chaque Noël ?

Je sais déjà comment se passera la soirée du réveillon. Je recevrai quelques photos sur notre groupe familial que je likerai avec un commentaire du genre « Joyeux Noël ». Je proposerai sans doute un appel vidéo qui ne servira à rien et dont les silences seront probablement gênants et qui accentueront encore le décalage. 

Je ne suis plus celui qui rassemble. J’ai perdu cette place sans même m’en rendre compte. Mon rôle, c’est celui de l’absent, de celui à qui on parle, parce qu’il le faut bien, avant de passer à autre chose. 

Peut-être que les choses changeront un jour. Peut-être que je trouverai une façon de recréer ce rôle ici, avec mes filles, si elles acceptent de venir. Je pourrais peut-être même inviter tout le monde. Enfin… Ceux qui veulent venir. Mais en attendant, je reste là, hors cadre, à regarder les autres construire des souvenirs auxquels je n’appartiens plus. »

La réponse de French Morning

Merci pour votre témoignage, Fabrice. Dans son article Frères et sœurs, l’inévitable rivalité, la journaliste Andrea Ostojic revient pour le magazine Sciences Humaines sur les relations fraternelles.

« Pour un frère ou une sœur qui se sent blessé, lésé ou incompris, la première étape pour aller mieux est de reconnaître sa souffrance. Comme le souligne la psychanalyste Virginie Megglé, il s’agit d’admettre que cette blessure, bien qu’elle puisse sembler minime aux yeux des autres, est tout à fait réelle. Une autre étape cruciale consiste à faire le deuil de la fratrie idéale, à accepter que son frère ou sa sœur ne puisse pas toujours combler toutes nos attentes. ‘Faire le deuil de notre fratrie, c’est renoncer à notre idéal, à nos illusions et à tout ce qui peut entretenir notre douleur. C’est ne plus penser à un épisode difficile, ne plus cultiver la nostalgie, ne plus ressasser une dispute non résolue… C’est un processus complexe et très long’, explique-t-elle. Parfois, prendre de la distance avec certains membres de la famille peut s’avérer salutaire pour avancer.

Une fois la douleur reconnue, un travail intérieur est nécessaire pour sortir du rôle de victime ou de bourreau, dans lequel on peut s’enfermer inconsciemment. Cela implique d’arrêter d’idéaliser la position de l’autre tout en dévalorisant la sienne, mais aussi de reconnaître ses propres émotions – jalousie, haine, rancœur – pour mieux les comprendre et, surtout, ne plus leur permettre de dicter nos réactions.

La jalousie, souvent mal jugée, est en réalité une manifestation de la peur de l’abandon. La reconnaître et l’accepter constitue un premier pas vers un apaisement durable. Cependant, il est essentiel de ne pas se limiter aux aspects négatifs des relations fraternelles. Comme le rappelle Francine Klagsbrun dans son ouvrage Frères et sœurs, pour le meilleur et pour le pire, la fratrie est également un espace d’amour et de complicité. Elle écrit que les membres d’une fratrie partagent ‘un réservoir de souvenirs – concernant certaines attitudes des parents, des fous rires et des moments d’espoir, des périodes douloureuses – qui transcende l’expérience individuelle et forme un passé commun.’ Ces souvenirs, uniques et inaliénables, lient les frères et sœurs pour toute la vie.

Ainsi, au-delà des conflits et rivalités, la fratrie reste le lieu de grandes joies, de soutien dans les épreuves, de complicités profondes et de démonstrations de solidarité, qui peuvent durer jusqu’à la fin des jours. »

✉️ On se retrouve dans 15 jours. En attendant, envoyez-nous vos histoires et vos questions à l’adresse : [email protected].

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