Théâtre : James McAvoy, un Cyrano de Bergerac attirant comme jamais au BAM

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C’est un petit choc très agréable. On s’était habitués à imaginer Cyrano sous les traits de Gérard Depardieu. En ce moment dans Cyrano de Bergerac au BAM, on le redécouvre avec les yeux bleus, le corps puissant et l’accent écossais de James McAvoy. Un vrai crush donc, mais qui n’enlève rien à la pertinence de la pièce d’Edmond Rostand quant au pouvoir des mots, dans une adaptation contemporaine.

Le pouvoir des mots, toujours d’actualité

Point de fleuret ou de cape dans cette révision de Martin Crimp. Le mot est maître, le reste est dérisoire. Ça fonctionne, car l’adaptation très libre des dialogues de Rostand est poignante, drôle et pertinente. Les armes sont des micros, le décor est fait de quelques chaises et d’un miroir. Les costumes, du jean et des joggings. La pièce s’ouvre par une présentation des personnages dans un exercice de méta-théâtre adressé directement au public. On se laisse séduire par l’humour et le florilège d’accents anglais de toutes parts du Royaume-Uni. La fameuse tirade du nez est un battle de rap énergisé qui fait hocher le public en rythme.

Cyrano de Bergerac n’est pas une histoire d’amour. C’est une leçon et un avertissement sur le pouvoir souvent sous-estimé des mots, de la maîtrise de la rhétorique et du langage. Cette leçon est intemporelle. Il n’y en a pas de meilleur exemple que le public du BAM électrifié, immobile, silencieux, tendant l’oreille pour ne pas perdre une miette de la déclaration d’amour renversante de Cyrano à Roxane (jouée par Evelyn Miller). Une performance d’acteur de la part de McAvoy « à couper le souffle », littéralement donc. Le spectateur est d’autant plus impliqué que lors des dialogues, les acteurs lui font face. Assis les uns à coté des autres, Roxane, Christian, de Guiche et Cyrano se parlent mais se regardent peu. En on y croit quand même.

Jugement des corps

Outre la puissance de l’éloquence, la production de Jamie Lloyd souligne d’autres thèmes si actuels qu’il est presque surprenant qu’ils fussent déjà pertinents au XIXe siècle. Le nez de Cyrano sert d’excuse pour parler du corps et de la beauté. Ce n’est pas un hasard si les personnages féminins sont tous couverts, des pieds à la tête, de vêtements amples tandis que les jambes et torses nus de Cyrano et de ses acolytes sont exhibés en longueur. Lloyd prend le parti explicite d’interroger le public sur son jugement des corps, son seuil de confort avec la nudité « inversée » et le déni fait aux femmes de leurs accessoires de séduction traditionnels.

Récompensée à Londres par l’Olivier Award de la meilleure adaptation contemporaine, la production de Jamie Lloyd s’impose au BAM en force. La salle est pleine, le public tout ouïe. Au sujet de l’ouïe, il faut noter la contribution épatante de Vaneeka Dadhria qui fournit l’unique bande son de la pièce avec du beatboxing en direct. Cyrano en 2022 : le panache, la verve, et le diable au(x) corps.

Au BAM jusqu’au 22 mai 2022.

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